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Les coûts de la santé au travail et de prévention des risques professionnels sont difficiles à mesurer et les marges d’erreurs sont importantes. Toutefois, les différentes estimations réalisées montrent que les impacts économiques de prévention et de réparation des risques professionnels sont lourds : l’ensemble de leurs coûts, directs et indirects, représenterait de l’ordre de 2% à 3% du PIB dans de nombreux pays (Agence européenne de la santé et de la sécurité au travail).
Si les problématiques de santé au travail ne se résument pas à une question de rapport "coûts - bénéfices", il n’en demeure pas moins que le coût total pour une entreprise des atteintes à la santé et à la sécurité au travail et de leur prévention est conséquent et qu’il y aurait lieu de chercher à l’optimiser, ne serait-ce que pour éclairer les décideurs sur les meilleurs choix à faire parmi toutes les options envisageables, pour faire en sorte que ces choix soient présentés de manière objective.
La portée des approches économiques de la prévention reste toutefois à ce jour limitée par les difficultés théoriques et pratiques de mise en œuvre.
Les bases du modèle économique de la prévention
La base du raisonnement est la suivante : on cherche à améliorer la sécurité au travail si les conséquences économiques des accidents et maladies professionnelles (couts de non-sécurité) sont trop importantes par rapport aux coûts des mesures de prévention et de protection ou si l’on n’obtient pas un niveau de sécurité jugé satisfaisant. Ces coûts de non-sécurité sont fonction de probabilités d’occurrence et de gravité et le jugement sur le degré d'acceptabilité varie en fonction du contexte socio-économique et de l'aversion des acteurs aux risques.
Un effort de prévention et de protection est efficient s’il permet de minimiser l’ensemble des coûts, c’est-à-dire lorsque le cout supplémentaire dépensé en prévention réduit plus les coûts futurs anticipés de réparation, dans la mesure où ceux-ci correspondent à des risques globaux jugés acceptables : d’où la nécessité d’évaluer tous ces paramètres, dont on perçoit d’emblée la complexité de chacun d’entre eux.
En résumé, les différents paramètres à prendre en compte sont :
- l'occurrence estimée des accidents du travail ou maladies professionnelles
- la gravité de ceux-ci
- l'efficacité des mesures pour faire diminuer l’occurrence ou la gravité
- les coûts des mesures de prévention et de protection d’une part,
- les coûts de « non-sécurité », d’autre part.
- le niveau de sécurité (appréhendé quantitativement par la criticité) acceptable.
La criticité
La représentation traditionnelle du risque identifie les sources de dangers et les note en fonction de leur fréquence (occurrence probable) et de leur gravité (conséquences). Ces critères « fréquence (F) et gravité (G)» sont souvent évalués chacun sur une échelle de 1 à 4, qui multipliés, donnent un niveau de criticité (chiffre allant donc de 1 à 16), ce qui permet de classifier et attribuer une priorité de traitement du risque. La fréquence dépend, entre autres éléments, de la durée d’exposition au risque, qui entraîne une probabilité d’apparition d’un dommage généralement croissante avec elle. La gravité dépend de la nature des lésions corporelles et du nombre de personnes subissant le dommage.
Pour un risque, le niveau de criticité C est égal à F*G ; pour l’ensemble des risques, le niveau de criticité global est obtenu par sommation, ce qui est statistiquement erroné car cela suppose les risques indépendants les uns des autres.
Il convient d’éliminer du raisonnement les accidents potentiellement gravissimes mais de très faible probabilité : s’ils se produisent un jour, cela sera probablement dans fort longtemps et les conditions de production seront totalement changées et la valeur obtenue en multipliant une probabilité infime par une conséquence énorme n’a pas de sens (zéro * infini !). Cela peut être difficile à faire accepter car "la fascination par le risque maximum" est un travers psychologique fréquent, parce qu’il existe une aversion supérieure pour les catastrophes que pour une série d’accidents modérés. On préfère souvent prendre en compte un scénario catastrophique très improbable et négliger un scénario moins grave mais beaucoup plus probable.
L’optimisation sous contrainte
En théorie et en résumé, le modèle économique des risques professionnels consiste à trouver les solutions minimales d’allocation de ressources dédiées à la sécurité et à l’amélioration des conditions de travail, en vue de minimiser les coûts directs ou indirects des accidents du travail et des maladies professionnelles, sous contrainte d’un niveau de criticité acceptable socialement.
A priori, plus le coût de prévention et de protection croit, plus le niveau de criticité décroit, soit par diminution de la fréquence des risques (par des mesures de prévention), soit par la réduction de leurs gravité s’ils se produisent (par des équipements de protection).
Pour un coût modéré, on obtient généralement une baisse rapide du niveau de criticité (on a traité aisément les dangers évidents à surmonter), puis il faut des coûts croissant très fortement pour obtenir un niveau de criticité très bas.
A noter que, paradoxalement, certains efforts de prévention peuvent augmenter parfois légèrement le risque : c’est l’exemple du motard qui conduit à une vitesse excessive parce qu’il se sent protégé par son casque et sa combinaison, et cela se retrouve aussi dans le milieu industriel, notamment aussi avec le phénomène des assurances qui perturbent la perception du danger, en annulant ou compensant les effets de l’accident.
Quantification des efforts de prévention
Les efforts de prévention résultent de la différence entre tous les coûts de prévention et de protection consentis (charges et amortissements des investissements) diminués de tous les coûts directs et indirects des risques évités, sachant que les coûts de prévention et de protection sont certains, alors que les « bénéfices » ne sont que souvent tardifs et incertains : cela pose le problème de l’actualisation économique des coûts directs et indirects de « non-sécurité », qui permet de les amoindrir progressivement en fonction du temps considéré sur l’horizon de l’étude, et de leur pondération par un facteur d’incertitude, dépendant des éléments de pronostic sur les effets de la prévention… Les coûts de « non-sécurité » sont ainsi l'espérance mathématique des coûts actualisés des événements ayant eu des conséquences dommageables.
Les coûts directs sont égaux aux pertes d’exploitation du fait du sinistre et des arrêts de travail, des handicaps ou décès des victimes et des dépenses médicales ou pensions d’invalidité engendrées ; la difficulté provient du fait que les entreprises n’en subissent pas toutes les conséquences immédiates qui sont à la charge d’autres acteurs (Sécurité Sociale et Assurances), mais des conséquences diluées et différées sous forme d’augmentation des primes d’assurance annuelles.
Les coûts indirects, liés aux dysfonctionnements induits, sont égaux aux coûts de remplacement des travailleurs, aux frais administratifs et juridiques, aux pertes de production dues aux destructions, à la désorganisation ou aux mouvements sociaux éventuels, à la baisse de productivité due à la démotivation des équipes et à l’augmentation de l’absentéisme, au coût de réparation du matériel éventuellement endommagé, aux pénalités de retard de livraison…
L’évaluation de ces coûts s’avère complexe et sujet à de larges approximations, à un caractère conventionnel pour une partie du chiffrage, qui peuvent donner lieu à des sur ou sous-estimations importantes : il est judicieux de donner une fourchette hausse et basse d’appréciation.
Le coût des mesures de prévention et de protection est plus facilement mesurable : il correspond aux
amortissements sur la durée de l’étude des installations de sécurité, aux coûts des équipements collectifs ou individuels de protection, aux surcoûts des produits de substitution, aux rémunérations des préventeurs internes, aux coûts des heures de formation, ou des prestations des consultants externes.
Cependant, comme de nombreuses études de cas l’ont démontré, il y a un lien entre investir dans la sécurité et améliorations de qualité et de productivité : il faut ainsi tenir compte de ces gains éventuels qui minorent les coûts des mesures de prévention.
Le niveau de criticité acceptable
L’importance de l’acceptabilité du risque comme facteur influençant l’évaluation économique est fondamentale puisque le modèle économique intègre la notion d’aversion au risque, qui entraîne que plus celle-ci est forte (ou plus le niveau d’acceptabilité est faible), plus le risque est coûteux au sens où il faut adopter plus de mesures de prévention et de protection pour réduire le risque futur.
L'acceptation d'un risque dépend des critères retenus par les décideurs, elle intègre une dimension psychologique et sociale et une dimension économique liée au surcoût de la prévention et de la protection et de son efficacité attendue.
Evidemment, au prix de mesures de protection ou d'investissements supplémentaires en sécurité toujours plus important, on peut atteindre en théorie un niveau toujours plus faible de criticité, mais en contrepartie d’une perte de compétitivité dirimante qui rend illusoire cette volonté, pour des raisons concurrentielles mais aussi pour des raisons de consommation liées au renchérissement totalement excessif des produits.
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