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Éloge de l'anarchie organisationnelle
La mode est à la prise en compte des facteurs humain et organisationnel. Le retour d'expérience de grands accidents et la production de connaissances scientifiques et d'ingénierie qui s'en est suivie, avec les travaux de Rasmussen, Reason, Perrow, Vaughan et quelques autres, ont façonné profondément – et sans doute durablement – notre représentation et notre compréhension de ces dimensions essentielles à la compréhension des dynamiques d'accident. Cet engouement ô combien légitime s'inscrit dans une approche du management de la sécurité dominée par les impératifs de la rationalité formelle, construite sous le signe de l'ordre qui décide des finalités, de l'organisation et de la division (spécialisation) du travail, du « partage » de l'autorité (rôles et devoirs de chacun) et des mécanismes et processus de régulation et de contrôle destinés à assurer le bon « fonctionnement » de l'organisation. L'air du temps et les récentes catastrophes industrielles ne sont pas à contredire un tel énoncé. L'idée d'anarchie organisationnelle apparaîtrait de fait paradoxale, voire hérétique... Nous n'en sommes pas là ! Que nos lecteurs se rassurent. La (re)lecture d'un « vieux » papier de Jacques Chevallier, professeur à Paris II, écrit en 19971, invite néanmoins à la réflexion. Chevallier disserte sur la notion d'anarchie organisationnelle. Cette dernière ne renvoie pas à celle d'organisation « informelle », démontrée dans les années 30, d'autant qu'elle ne rejette nullement la notion d'ordre. Il s'agit « simplement » d'un ordre plus « complexe ».
L'anarchie organisationnelle signifierait une forme de « rupture » avec l'organisation hiérarchisée et le passage à un mode d'organisation « pluraliste, souple et adaptable »
La notion d'anarchie organisationnelle pourrait aussi être considérée comme un symptôme de crise de l'organisation, en témoignant ainsi de la dégradation et de la mise en péril de l'ordre existant. Mais là encore, la notion d'anarchie organisationnelle ne saurait être « assimilée à la crise ». Chevallier se questionne donc sur la conception d'organisations dans lesquelles un lien plus « lâche » fédère les acteurs et dans lesquelles les « pôles » de pouvoir sont multiples et variés, de type « polycentrique ». Dès lors, l'anarchie organisationnelle signifierait une forme de « rupture » avec l'organisation hiérarchisée et le passage à un mode d'organisation « pluraliste, souple et adaptable ». James March2, sociologue des organisations, a quant à lui popularisé le concept « d'anarchie organisée », une forme d'organisation où les objectifs sont multiples, les priorités peu voire carrément pas affichées et les processus de décision très mal définis. Il en résulte une organisation opaque au sein de laquelle on ne sait qui fait quoi et pourquoi... Olivier Coutard3 avance de son côté le concept de « bricolage organisationnel » afin de qualifier un mode de décision marqué par la multiplicité et l'interdépendance des instances de décision et leur autonomie relative. Anarchie, anarchie organisée, bricolage organisationnel...
voici de quoi alimenter prochainement un très riche dossier dans RSE !
1. Jacques Chevallier, L'anarchie organisationnelle : position du problème. In : Désordre(s), PUF 1997, p. 267-270.
2. James March, Decisions and Organisations, Blackwell, 1988.
3. Olivier Coutard, Le Bricolage organisationnel. Crise des cadres hiérarchiques et innovations dans la gestion des entreprises et des territoires, Elsevier, 2001.
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