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Un nouveau concept, la phygitalisation, concerne le monde du travail et se développe dans les entreprises, qui s’en trouveront totalement transformées : il repose sur l’hybridation du travail, c’est-à-dire, fusion du monde physique et du monde numérique digital, avec ses conséquences fondamentales sur l’organisation du travail, les espaces de travail, le temps de travail et les pratiques managériales, avec la naissance d’une nouvelle culture d’entreprise. L’enjeu n’est pas seulement de mettre en œuvre le télétravail avec une préparation matérielle et un accompagnement satisfaisants, mais aussi de mettre en place des pratiques managériales innovantes avec le développement d’une culture d’entreprise en adéquation avec cette nouvelle organisation ...
Un nouveau concept, la phygitalisation, concerne le monde du travail et se développe dans les entreprises, qui s’en trouveront totalement transformées : il repose sur l’hybridation du travail, c’est-à-dire, fusion du monde physique et du monde numérique digital, avec ses conséquences fondamentales sur l’organisation du travail, les espaces de travail, le temps de travail et les pratiques managériales, avec la naissance d’une nouvelle culture d’entreprise.
La phygitalisation répond à la demande à la fois des employés qui privilégient autonomie, mobilité et flexibilité, et recherche d’une meilleure qualité de vie au travail, et aussi à celle du management pour augmenter motivation, responsabilité et esprit d'initiative des salariés, conjuguées à la croissance des possibilités des technologies de l'information et de la communication (TIC) devenues omniprésentes dans le monde professionnel et qui permettent des connexions audiovisuelles et des transmissions de données aisées en tout temps et en tout lieu.
L’enjeu n’est pas seulement de mettre en œuvre le télétravail avec une préparation matérielle et un accompagnement satisfaisants, mais aussi de mettre en place des pratiques managériales innovantes avec le développement d’une culture d’entreprise en adéquation avec cette nouvelle organisation du travail, par exemple la possibilité de travail collaboratif multi-métiers, multi-sites … Les pratiques liées à l'organisation du travail, les types d'organisation et de contrôle doivent évoluer avec l'autonomie au travail des salariés phygitalisés.
Au manque de maîtrise des processus de conduite de changement que requiert la phygitalisation, des menaces de nature psychosociale pèsent sur la phygitalisation de l’entreprise :
- critiques de manque de frontière entre vie professionnelle et vie privée,
- éloignement du soutien du collectif de travail,
- inquiétudes sur le rôle et l’autorité du management intermédiaire et de l’encadrement de proximité,
- conflits d’inégalités de traitement entre salariés pouvant télétravailler et les autres,
- parcellisation des tâches avec la subdivision du travail,
- excès de surveillance de la quantité et la qualité de travail à distance,
- tensions liées aux accidents du travail à domicile, à la durée de travail, au droit à la déconnexion,
- conséquences des fuites et manipulations de données confidentielles facilitées par les failles de sécurité d'accès aux différents réseaux d'entreprise,
- etc.
Dans ce nouveau monde de la phygitalisation en plein développement, les mesures préventives doivent prendre en compte l’accentuation possible des risques psychosociaux induits : la prévention du stress et des atteintes à la santé mentale liées à la phygitalisation relève de mesures organisationnelles, en repérant et en éliminant les pratiques abusives que notamment le travail à distance peut générer.
Du fait de l’abolissement à la fois en durée et distance de la mise à disposition de données, de l’autonomie dont jouit le travailleur phygitalisé, le travail à distance induit de nouveaux lieux et temps de travail disséminés pouvant nuire à la construction de la cohésion sociale, conduire à l’isolement et à l’affaiblissement du soutien social par individualisme professionnel, avec diminution des communications réelles en face à face au profit de communications virtuelles par écran interposé.
Dans un tel contexte, le développement du management par la confiance doit se substituer progressivement au traditionnel management hiérarchique pour éviter de multiples tensions relationnelles et déviances comportementales de chaque partie. La phygitalisation du travail, en accordant plus d’autonomie, et donc plus de confiance, en supprimant les règles et consignes du travail en présentiel, entraine aussi parallèlement des effets pervers : des risques de déstabilisation, voire de fragilisation des individus, une organisation imposant un changement profond des habitudes, un stress et une anxiété dus à la hausse des responsabilités et de l'autonomie, au sentiment de perte des repères, de savoir-faire ou de pouvoir, des risques individuels liés à l’excès d’implication et d’engagement. Ces évolutions entrainent une remise en question des expertises et les salariés peuvent ainsi être mis dans des situations d'autonomie excessive, voire en situation d'incompétence générant une forte déstabilisation personnelle : perte des atouts de la communication interpersonnelle en face à face, perte des apports du collectif de travail (information, expérience), peu de soutien social du travail en distanciel.
Pour éviter ce mal-être, il convient ainsi de mettre en œuvre des mesures de prévention spécifiques à la phygitalisation concernant la conservation du lien social, la gestion du temps et de la charge de travail, la cybersécurité et le nouveau rôle du manager qui doit changer de mode d'animation et de conduite des individus et des équipes : la phygitalisation de l’entreprise engendre une véritable rupture, car il y a remise en cause de la manière d’agir des acteurs concernés qui doivent quitter leurs zones de confort apparentes et s'aventurer vers de nouveaux contextes de travail, de nouvelles tâches et responsabilités, mobiliser de nouvelles compétences, apprendre de nouveaux comportements, adopter de nouvelles attitudes.
Les tendances lourdes de l’évolution vers la phygitalisation de l’entreprise
- Généralités sur le travail phygital et hybride
La phygitalisation est un néologisme résultant de la contraction des mots « physique » et « digital », exprimant la combinaison d'une présence physique avec une panoplie d’applications numériques et de fonctionnalités digitales et télécommunicantes : originellement, il s’agit de la « phygitalisation du point de vente » en marketing omnicanal, méthode et technique mélangeant outils commerciaux en présentiel et distanciel.
L’acception du terme a été étendue à toute l’entreprise, et la phygitalisation du travail signifie alors un travail en mode présentiel et en mode distanciel qui s’associent, fusionnent et s’articulent sans anicroches, que cela soit pour la gestion, le contrôle, le relationnel, le technique, le procédural : le travail en mode phygital est ATAWAD « anytime, anywhere, anydevice » (n’importe quand, n’importe où, n’importe quel matériel), en créant un véritable « Digital Workplace » par la dématérialisation de toutes les procédures et avec la facilité et la fluidité des connexions entre tous les salariés de tout niveau hiérarchique, entrainant des conditions favorables à la collaboration :
- avoir des lieux de travail divers, au bureau, dans l’entreprise, à domicile mais aussi dans des tiers-lieux comme des espaces de coworking, en fonction des missions ou des tâches à effectuer.
- travailler en horaires flexibles pour être le plus efficace possible, mais aussi préserver la conciliation de la vie personnelle et de la vie professionnelle.
- disposer de logiciels, de canaux et d’outils de télécommunication variés, sécurisés et performants, en fonction des besoins et des interlocuteurs : réunions virtuelles, plateformes numériques, smartphones, objets connectés, …
Le travail « hybride », mêlant des journées en distanciel à domicile ou dans des tiers-lieux et des journées en présentiel dans les locaux de l’entreprise, va devenir la norme pour de nombreux postes, mais ce n’est qu’un des aspects du travail « phygital » : de nouvelles pratiques managériales sont nécessaires face à l’hybridation du travail dans les organisations, par exemple pour passer d’une culture de contrôle étroit et rapproché à une culture de confiance élargie et lointaine, avec un style de management moins directif d’un côté, mais de l’autre un comportement plus autonome et responsable des employés.
Cette stratégie d’hybridation, initialement l’apanage des start-up, concerne désormais beaucoup d’entreprises, qui cherchent à hybrider leurs modes d’organisation et de travail comme ceux des start-up, pour adopter une logique plus agile, plus créative, plus entrepreneuriale et horizontale.
Plusieurs facteurs, sociologiques, technologiques et managériaux, concourent à faire évoluer les conditions de travail vers une disparition progressive, pour des emplois de plus en plus nombreux, des durées, horaires et lieux de travail fixes qui étaient la norme lors de la généralisation du salariat au XXème siècle. La tertiarisation grandissante de l'économie favorise fortement cette tendance lourde. La forme la plus radicale et la mieux définie est le télétravail complet ou partiel ou le travail indépendant, mais le modèle dominant aboutit aussi au blurring, interpénétration confuse, mal délimitée, entre la sphère professionnelle et la sphère privée : dans une décennie, il est probable que pour bon nombre des jeunes gens entrant sur le marché du travail, le débat sur les 35 heures sera obsolète et que la pointeuse sera un étrange objet préhistorique !
Cette évolution majeure est rendue possible par l’omniprésence dans le monde professionnel des technologies de l'information et de la communication (TIC) qui permettent de profondes modifications des conditions de travail et d’organisation dans les entreprises. Ces nouveaux outils concernent un nombre grandissant d’employés qui les utilisent intensivement, au point de concerner la majorité des effectifs dans le secteur tertiaire : le statut de télétravailleur leur est devenu accessible avec la multiplication des tâches digitalisables, y compris pour le personnel d'encadrement pour lesquels des activités de gestion, de communication, de recherche peuvent en partie s’effectuer à domicile.
La crise sanitaire 2020-2021 du COVID-19 et les périodes de confinement pandémique, ont accéléré cette tendance à la phygitalisation, car la plupart des salariés du secteur tertiaire a été contraint d’adopter le télétravail au moins à temps partiel et pendant un certain temps, mais dans la grande majorité sans expérience préalable. Cela a permis d’analyser à grande échelle les impacts de cette pratique et leur adaptation à ces nouvelles conditions de travail : l’utilité environnementale et managériale de sa pérennisation éventuelle au moins partielle, passe par l’examen des conditions dans lesquelles le télétravail doit s’opérer, une fois finie l’adaptation dans l’urgence et dans l’adversité. Car le télétravail nécessite une préparation et un accompagnement pour être une réussite. Dans les épisodes de confinement, pour beaucoup, ce n'est pas à proprement parler de télétravail dont il s’agissait, mais de travail à domicile en mode dégradé !
- Les aspects sociologiques influençant la phygitalisation de l’entreprise
Plusieurs mutations sociétales entrainent de nouveaux modes de vie, d'attitudes des salariés et donc de nouvelles attentes vis-à-vis des entreprises.
Dans une société où la qualité de vie est une valeur croissante et où la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée est de plus en plus poreuse du fait du développement des outils de travail nomades, les salariés sont en quête de solutions proposées par leur employeur pour les aider à gérer leurs temps de vie (managing work life balance). Si les contraintes de la vie quotidienne parasitent la journée de travail, engendrent du stress, cela peut peser sur le bien-être et sur la productivité des salariés. En particulier avec l'augmentation de la proportion des jeunes femmes au travail, l'absence de politique de conciliation travail-famille est porteuse de mal-être au travail. Les femmes sont traditionnellement beaucoup plus sensibles à la qualité de vie au travail, mais pour les jeunes hommes, les menaces sur l'équilibre vie professionnelle / vie privée deviennent désormais aussi un souci majeur, car ils sont amenés à collaborer à la vie familiale et domestique beaucoup plus que par le passé.
Les besoins d'autonomie progressent aussi à la fois du fait d'un individualisme croissant, et du fait de l'élévation générale du niveau d'études pour la plupart des employés : le caporalisme, la présence constante d'une hiérarchie dans une organisation et des procédures rigides, des contrôles tatillons, l'interdiction de s'occuper de problèmes privés au bureau, sont de plus en plus mal acceptés par les jeunes générations, et nuisent à l’obtention d’une satisfaction et d’une motivation au travail. Pour les milléniaux et plus encore les futurs salariés de la génération Z, « l’expérience collaborateur », cumul des ressentis dans les différents postes de travail occupés, est devenue essentielle pour motiver, fidéliser, et améliorer l’attractivité de l’entreprise avec une image de marque soucieuse de la qualité de vie au travail : le travail phygital bien intégré dans les conditions de travail fait désormais partie de cette « expérience collaborateur ».
- Les aspects technologiques influençant la phygitalisation de l’entreprise
L'introduction massive des technologies de l'information et de la communication (TIC) et d'Internet ou d'Intranet dans les entreprises, génère de profondes modifications dans l'organisation du travail lui-même, mais aussi dans les relations des employés entre eux et avec leur hiérarchie. Smartphone, ordinateur portable sont très souvent immédiatement inclus dans le kit du nouvel employé… Le lieu de travail est un « Digital Workplace », c’est-à-dire un lieu où les outils numériques et digitaux occupent une place prééminente.
La souplesse d'utilisation, l'instantanéité, l'intensité du flux, la masse de stockage et la capacité de traitement et de recherche d'informations, l'interactivité, rendent ses outils (téléphones et ordinateurs portables, logiciels de recherche, de documentation, d’aide à la décision, de calculs, de traitement de texte, de dessins, de téléréunions, courriers électroniques …) particulièrement performants et sont des sources importantes de productivité et de qualité. Par ailleurs, les modifications induites par les TIC de la localisation du travail, de son rythme, de sa nature peuvent conduire à plus d'autonomie, à un enrichissement des fonctions, à une flexibilité permettant un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle.
Les technologies de l'information et de la communication (TIC) de plus en plus performantes et les transmissions Internet haut débit généralisées sur tout le territoire, permettent de travailler à distance tout en étant relié au bureau par téléphone fixe ou portable, ordinateur, modem, télécopieur, webcam. Les suivis en temps réel de l'évolution d'un travail d'équipe (études techniques, marketing …), les vidéoconférences et audioconférences, deviennent possibles et aisées et cela ne limite donc pas le travail à distance à de simples tâches administratives ou commerciales (prospections et enquêtes téléphoniques …) individuelles mais concerne aussi des équipes de projet géographiquement éloignées.
Dans le domaine de la formation professionnelle, les outils pédagogiques sur support vidéo, modules de e-learning, sur internet ou intranet, utilisant l'image et l'animation comme méthodes de formation à distance, présentent de nombreux atouts par rapport aux outils anciens, livres, séances de formation. Ces outils, moins couteux que la formation en présentiel, sont interactifs et particulièrement riches en interfaces, et permettent des parcours d'autoformation individualisés. De plus, le e-learning est un système de formation souple et flexible dans lequel l'apprenant peut apprendre presqu'affranchi des contraintes de lieu et de temps, sans se déplacer ; il fixe lui-même son emploi du temps, il gère son rythme d'apprentissage. La personne en formation peut beaucoup plus facilement concilier formation et temps de travail, ce qui encourage sa motivation aux efforts de formation professionnelle.
Après définition de règles collectives d’usage et édiction de règles de sécurité, la mise en œuvre du travail collaboratif au sein de plateformes participatives, partage d’agendas et de fichiers, visio-conférences et réunions en ligne, accompagne la transformation digitale de l’entreprise et l’utilisation des outils collaboratifs devient indispensable pour partager l’information, communiquer ou encore par exemple suivre l’état d’avancement des projets.
Bien plus, avec les outils du Knowledge Management qui consiste à collecter, mettre en forme et à organiser l'échange du savoir dans l'entreprise avec comme support essentiel l'informatique, le travail à distance peut encourager une culture de partage des connaissances et d'échange de savoirs (confiance, réciprocité, ...) entre des personnes éloignées géographiquement et faire vivre des communautés disséminées (plateformes collaboratives).
Mais également, par ailleurs, la géolocalisation permet une surveillance directe ou indirecte par des dispositifs de télécommande : des systèmes dotés de balise GPS permettent la localisation du travailleur.
- Les aspects managériaux influençant la phygitalisation de l’entreprise
Les pratiques liées à l'organisation du travail, les types d'organisation et de contrôle tendent vers plus d'autonomie au travail des salariés, pour augmenter leur responsabilité et esprit d'initiative : un nouveau management utilise un mode d'animation et de conduite des individus et des équipes qui suscite leur engagement et leur contribution à l'innovation permanente et au progrès des performances de l'entreprise. En cohérence avec les objectifs de l'entreprise, il s'appuie sur la prise en compte des attentes et des aspirations des membres du personnel et favorise leur motivation. L'autonomie opérationnelle attribuée aux collaborateurs leur est dévolue en échange de l'engagement à atteindre des objectifs dont ils deviennent responsables.
Il s'agit aussi d'évoluer vers la constitution de communautés transversales, au sein desquelles les échanges de pratiques se font sans formalisme hiérarchique, et où l'apprentissage est intense. Au mode opératoire hiérarchique inadapté, car cloisonnant, peut succéder un mode multidimensionnel, intégrant les réseaux afin que les meilleures idées et pratiques soient mises en œuvre. La gestion de la connaissance nécessite alors une rupture avec les modèles traditionnels des organisations, avec des modifications qui touchent tous les niveaux et passe par des attentes de nouvelles polyvalences, par la constitution d'équipes pluri-métiers.
Les facteurs de risques de la phygitalisation des entreprises
Le déploiement massif et incontrôlé de la phygitalisation fondé sur une rationalisation rapide et abusive des moyens, une augmentation excessive des contraintes organisationnelles, une exigence trop forte de réactivité et de flexibilité individuelle, présentent des risques de surcharge mentale (troubles psychosomatiques du stress, sur-engagement dans le travail, sentiment d'instrumentalisation), conduisant à une véritable souffrance au travail et éventuellement à une hyperactivité professionnelle pour tenir le rythme menant au burn-out.
Amélioration de la satisfaction et de l'efficacité au travail par développement de l'autonomie et de la responsabilité du personnel que procurent le travail hybride, la phygitalisation peut aussi détériorer les conditions de travail si elles sont mal mises en œuvre, appliquées de manière directive, sans concertation, par un changement brutal. D’autant plus que l’hybridation totale aura un impact visible et concret sur l’agencement des bureaux (flex office et desk sharing).
Beaucoup de décisions de mise en œuvre de nouvelles structures organisationnelles privilégient une démarche de réalisation de changement radical et rapide, en négligeant la compréhension et l'appropriation par les acteurs qui auront à les mettre en œuvre, d'où anxiété, sentiment de perte des repères, de savoir-faire ou de pouvoir.
En particulier, ne pas gérer les conséquences de ces changements sur le personnel âgé et sur les cadres intermédiaires qui tenaient traditionnellement leur autorité de leur pouvoir hiérarchique qui était lié à leur fonction et statut, crée des situations de leur inadaptation progressive, et aussi la hausse de la fréquence et de la gravité des risques psychosociaux. En effet, les facteurs générateurs de stress revêtent une importance accrue chez ces travailleurs : les changements sont plus anxiogènes dans la mesure où ils sont synonymes de remise en cause d'un long passé professionnel et de leur leadership ; ils contribuent à la perte des points de repère antérieurs ancrés depuis longtemps, de nature comportementale et relationnelle ; ils favorisent les interrogations sur soi, sa qualification : doutes sur sa capacité de travail en groupe, de son degré de maîtrise de la culture phygitale.
Les risques physiques du travail hybride et phygital
Il convient de noter que les risques routiers de déplacement domicile-travail sont fortement réduits et cela est à mettre au crédit du travail à distance.
Par contre, l'installation d'un bureau à domicile peut souffrir de mauvaises conditions ergonomiques préjudiciables à la santé du télétravailleur : les règles d’aménagement du local et du poste de travail de bureau peuvent être totalement négligées et le télétravailleur est alors exposé à des risques de pathologie auditive, de troubles visuels et musculo-squelettiques.
Un bureau à domicile ne répond généralement pas aux mêmes normes de santé et de sécurité que celles qui s'appliquent dans l’entreprise, que cela soit en espace de travail suffisant, en implantation et choix des équipements et mobiliers adéquats, en conditions d’aération et d’éclairage satisfaisantes. La sécurité des installations électriques peut être particulièrement problématique (rallonges et prises en mauvais état ou surchargées, fils électriques au sol et câbles sources de trébuchement...). Les situations dangereuses, qui s’apparentent beaucoup à celles conduisant à des accidents domestiques, comme monter sur une chaise instable pour ranger un dossier sur une étagère en hauteur, le sont d’autant plus qu’elles sont généralement occultées, pour des taches de nature apparemment banale, pour lesquelles il n’y a pas le respect d’un minimum de précautions de sécurité qui seraient prises dans un contexte collectif. L’isolement du télétravailleur amplifie en fréquence et en gravité tous les risques inhérents à un travail de bureau : risque visuel du travail permanent sur écran, risques de troubles musculo-squelettiques dus à la position statique assise prolongée, l’utilisation constante du clavier, de la souris de l’ordinateur, risque auditif du travail permanent au téléphone, risques électriques engendrés par l’utilisation d’une installation électrique précaire et/ou provisoire.
L’hybridation du travail mène naturellement au flex office et au desk sharing (c’est à dire, ne pas attribuer de poste de travail spécifique aux salariés) : aux habitudes sédentaires des employés se substituent des comportements nomades. L’impression pour certains d’être des pions interchangeables, les conflits pour les emplacements jugés les meilleurs, l’obligation de changer ses affaires de place (dans un casier personnel) et d’ajuster un fauteuil et un écran chaque jour, sont des contraintes qui font le pendant aux avantages du travail hybride.
Les risques organisationnels du travail hybride et phygital
- Les risques psychosociaux spécifiques de l'encadrement du travail phygitalisé
Dans la phygitalisation des organisations, les chefs, au-delà de perdre en partie l’exercice de leur autorité directe de statut et ne pouvant surtout compter que sur une autorité de compétences, voient leur utilité même qui est remise en question au sein d'organisations phygitales, collaboratives, souvent mouvantes et évolutives.
Les cadres tenaient traditionnellement leur leadership de leur pouvoir hiérarchique qui était lié à leur statut visible au quotidien. Ce rôle de l'encadrement de proximité est vraiment menacé et beaucoup d'anciens chefs sont perdus dans ce nouveau contexte managérial qui semble remettre en cause leur légitimité : la seule autorité subsistante est une compétence pour motiver, entrainer et fédérer les énergies pour tendre vers l'objectif commun et ce n'est pas acquis pour beaucoup d'entre eux : si l'idée d'une entreprise sans chef omniprésent offre une réelle possibilité de liberté au travail pour les salariés, de nombreux cadres intermédiaires se sentent marginalisés, avec tous les risques d'exclusion : certains cadres peuvent être exclus ou s'exclure d'eux-mêmes de l'univers de la phygitalisation avec des barrières à l'entrée comme la jeunesse, l'implication spontanée, etc. et il en résulte une dévalorisation pour eux-mêmes.
La capacité de ces cadres à changer rapidement pour répondre aux évolutions des structures organisationnelles de l'entreprise génère anxiété, sentiment de perte des repères, de savoir-faire ou de pouvoir : tout ceci aboutit à des risques de déstabilisation mentale, voire de fragilisation psychique des individus concernés (sentiment d'inefficacité / d'incompétence / perte de l'estime de soi) , avec des conséquences délétères, somatisations, conduites addictives, dépressions, voire suicides comme dans certains cas fortement médiatisés.
- Les risques psychosociaux du travail collectif à distance
Fondamentalement, la phygitalisation se caractérise par des modifications qui touchent tous les niveaux de l'organisation et passent par la constitution d'équipes qui éloignent les acteurs de leur localisation professionnelle traditionnelle, associée à la responsabilisation supérieure des équipes, avec un accroissement des moyens de travail collectif à distance, mais aussi un affaiblissement du collectif de travail : pour beaucoup d'employés, cela représente un changement profond, personnel et difficile. Les acteurs isolés peuvent ainsi être mis dans des situations d'autonomie et de responsabilisation excessives, voire en situations d'incompétence.
La mobilité des personnes au détriment de l'attachement à un bureau fixe sont l'apanage des modes de travail hybride. Le travail phygital vient ainsi brouiller les repères d'appartenance habituels : ces évolutions organisationnelles entraînent une forte déstabilisation, voire une déstructuration des collectifs de soutien, car la constitution d'équipes éloigne les acteurs de leur communauté professionnelle.
Or, le soutien social, instrumental ou émotionnel, dont dispose le travailleur sur son lieu de travail, de la part des collègues et de la hiérarchie, est un des facteurs qui module l'intensité de la charge mentale : une situation de forte tension psychique, telle que celle que l'on rencontre en cas de faible soutien social entraine des conditions de travail solitaire particulièrement stressantes, entrainant l'apparition de risques psychosociaux (accidents cardiovasculaires, dépressions...) qui doivent être prises en compte.
Le besoin d’appartenance a notamment souffert en période de confinement et de télétravail à plein temps. Ce besoin de lien social n’est pas satisfait lorsque les collaborateurs ne peuvent pas participer à des rituels d’équipe où ils se sentent appartenir à une communauté et où ils contribuent à son animation.
Du fait de l’abolissement à la fois en durée et distance de la mise à disposition de données, de l’autonomie dont jouit le télétravailleur, le travail à distance induit de nouveaux lieux et temps de travail disséminés pouvant nuire à la construction de la cohésion sociale, à l’isolement et à l’affaiblissement des relations interpersonnelles par individualisme professionnel, avec diminution des communications réelles en face à face au profit de communications virtuelles par écran interposé.
L’éloignement du collectif de travail engendre des effets négatifs sur le sentiment d'appartenance et l’égalité des conditions d’emploi et des droits en matière de formation et de promotion : être insuffisamment encadré ou être oublié, ne pas être évalué, ne pas avoir accès aux mêmes informations et opportunités de carrière que ses collègues, ...
- Les risques psychosociaux du « blurring » du travail hybride
Il faut aussi noter les risques liés à une disponibilité constante par le truchement du téléphone ou de l’ordinateur portable, avec éventuellement une surveillance sophistiquée et pernicieuse des télétravailleurs par surveillance régulière à distance (géolocalisation) : les télétravailleurs peuvent être ainsi amenés à travailler au détriment de leur vie privée et de leur temps de repos, avec des plages horaires excessives, ce qui entraîne des situations de stress. Les horaires de travail plus souples peuvent aisément finir par empiéter sur la vie privée et le souci légitime de contrôle du manager peut devenir excessif.
Les frontières entre vie professionnelle et privée s'estompent : l'apparition de cette nouvelle forme de travail, le blurring, entraine un nouveau rapport des salariés avec leur travail et leur employeur : la notion de temps de travail devient floue, la délocalisation des activités et le travail à distance abolit le concept de présentéisme.
Cela comporte des risques pour la santé physique et morale des salariés : perte des limites entre vie professionnelle et privée, stress chronique lié à des contrôles ou objectifs excessifs et à une disponibilité permanente se substituant à la présence sur un lieu de travail fixe et aux horaires précis, interactivité obsessionnelle et surcharge informationnelle menant à un excès de charge mentale.
Les employés peuvent travailler et se faire solliciter dans les transports en commun, à leur domicile le soir ou le week-end au détriment de leur vie privée et de leur temps de repos. Le blurring se complète aussi par le mélange des plages de travail et de vacance (phénomène de weisure = work + leisure), qui conduit ainsi à un enchainement ininterrompu de stress, même sur le lieu de vacances, au bord de la piscine ou sur la piste de ski !
Finalement, les travailleurs peuvent être ainsi amenés à travailler au détriment de leur vie privée et de leur temps de repos, avec des plages horaires excessives, ce qui entraîne des situations de stress. Les horaires de travail plus souples peuvent aisément finir par empiéter sur la vie privée et le souci légitime de contrôle du manager peut devenir excessif, avec également la fixation d'objectifs inatteignables et /ou peu clairs.
- Les risques psychosociaux des pressions excessives de la phygitalisation
Les nouvelles formes de travail hybride entrainent aussi parallèlement des effets pervers : les efforts permanents d'accomplissements de tâches de traitement d'informations, mais aussi les pressions psychologiques liées aux exigences de rapidité, délai de réponse, les sollicitations constantes en temps réel que permettent les TIC, génèrent une forte contrainte psychique. L'intensification de la charge mentale est induite par ces nouvelles formes de travail et par les technologies informatiques, qui imposent une vigilance accrue et constante, les yeux rivés sur l'écran pour ouvrir les multiples messages électroniques et y répondre immédiatement même sans caractère urgent ou consulter les derniers reportings, rapports ou incidents de l'entreprise.
En confiant plus à l’employé la gestion de son emploi du temps, on se rapproche d’un environnement de travail axé uniquement sur les résultats, éloigné de toute considération de temps de travail (ROWE, Results-Only Work Environment), mais éventuellement avec une situation de stress liée à la pression accumulée vis-à-vis de l'atteinte d'objectifs trop ambitieux fixés par le manager, possiblement irréalistes. Cette méthode de travail, non spécifique de l’hybridation mais encouragée par les situations de télétravail, ne se préoccupe pas du temps passé au travail (constitutif de l'ère industrielle au XXèm siècle) mais contrôle seulement les résultats effectifs, supposés clairs et mesurables : d’où les dérives potentielles, en terme de durée de travail excessive ou en terme d’objectif finalement flou ou incompris, que l’on observe déjà dans certains emplois phygitalisés.
La pression incessante des TIC pousse à une fébrilité d'actions et de décisions immédiates, parfois plus liées à des réactions au stress qu'au résultat d'une réflexion sérieuse.
De nombreux éléments mettent en évidence les effets pathogènes de la surcharge mentale du télétravail : le stress, le workaholisme et l'épuisement professionnel (burn-out) sont les conséquences néfastes des surcharges mentales. En cas de surcharge mentale prolongée, le travailleur conserve son équilibre psychique dans un environnement stressant avec une stratégie individuelle de défense de répression psychique, conduites addictives et somatisations. Une véritable addiction au travail, le workaholisme (par analogie au work alcoholism), ne penser qu'au travail et fuir les autres aspects de la vie, a un rapport de dépendance aux TIC du télétravail : cela correspond à un investissement excessif dans son travail et à une négligence de sa vie extraprofessionnelle, addiction comportementale dont certains facteurs de risque peuvent être liés à l'organisation du travail hybride. Ses conséquences sont délétères (ulcères, infarctus, AVC, diabète, obésité …) avec un risque d'évolution vers un syndrome d'épuisement professionnel (burn-out). Le workaholique ressent une pression interne le contraignant à travailler, une angoisse de ne pas travailler. D'autres addictions s'associent souvent au workaholisme comme l'alcoolisme, le tabagisme, la consommation excessive de substances psychotropes médicamenteuses (antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères) ou de stupéfiants. Cet état pathologique de dépendance au travail peut avoir des conséquences très néfastes sur la personne et/ou sur son entourage professionnel ou familial.
- Les risques psychosociaux de la fragmentation des taches du travail hybride
La digitalisation permet d’accentuer la subdivision du travail peu qualifié et induit, avec les techniques de plateformisation, « l’uberisation » du travail (car popularisé initialement par les services de chauffeurs de l’entreprise Uber). Les équipes sont de plus en plus fragmentées pour des tâches administratives simples et répétitives : ceci rendu possible non seulement par les possibilités techniques des applications mises en place sur smartphone et le développement de toutes les nouvelles technologies TIC, mais aussi par la demande sociale de nouvelles sources de revenu ou d’emplois indépendants non-salariés et la recherche de nouveaux modes de vies, de travail (absence de hiérarchie) : les travailleurs indépendants deviennent de plus en plus nombreux.
Des travailleurs indépendants du secteur tertiaire (Mechanical Turk, « Turc mécanique ») utilisent un service de micro-travail sur une plateforme web qui vise à faire effectuer, contre rémunération, des tâches dématérialisées, par ailleurs parcellisées, répétitives et peu complexes, la plupart exigeant peu de qualification : modération de contenus (images, textes, vidéos) ou écriture de commentaires, avis, critiques pour des forums ou des sites web, réalisation de sondages, de questionnaires ou d'enquêtes en ligne, de requêtes sur les moteurs de recherche, etc. Les portails de travail numérique rémunéré menacent sérieusement les protections de base des « travailleurs du clic » (clickworkers) dans ce système d’ubérisation des tâches du secteur tertiaire, comme celui des livreurs, coursiers, chauffeurs VTC des secteurs de la logistique.
Le modèle managérial de l’uberisation, placent les travailleurs des plateformes dans des situations incertaines et parfois défavorables et précarisées, avec, de plus, des personnes qui cumulent, volontairement ou de manière subie, plusieurs activités rémunérées (slashers) : leur parcours professionnel va être constitué d’une multitude d’employeurs et de situations de travail, imposées ou plus rarement par choix personnel.
Le travail contraint ou indépendant fictif à la mission ou à la tâche, caractéristique de l’hybridation absolue dans le secteur tertiaire, entraîne souvent des dérives abusives remettant en cause le salariat classique, en développant la flexibilité au détriment de la sécurisation de l’emploi et en généralisant la précarité et le manque de protection sociale.
Les secteurs du travail uberisé ne sont pas couverts par les politiques de prévention : et avec l'affaiblissement du salariat protégé par la réglementation de santé et sécurité du travail, la plateformisation de l'économie des services va ainsi entrainer des risques professionnels croissants.
Le travail uberisé pose de manière nouvelle la question des accidents du travail : la question de la couverture face aux risques d’accidents du travail se pose dans le cadre du développement de ces nouvelles organisations du travail : en effet, la jurisprudence fait reposer sur l’employeur d’un salarié une obligation de sécurité de résultat, avec un impact important sur les mesures de prévention des accidents de travail. Or cette responsabilité ne peut pas être évaluée quand il s’agit d’un travailleur indépendant pour lequel on ne veut et on ne peut pas contrôler physiquement les conditions de travail. Pour les travailleurs des plateformes, leur statut n’offre pas de couverture de ce risque alors que leur organisation du travail peut en partie dépendre de la plateforme. Des évolutions de la législation sont toutefois à l’étude.
Par ailleurs, on assiste à une déstabilisation des collectifs de soutien social : l’éloignement d’un collectif de travail engendre des effets négatifs sur le sentiment d'appartenance et d’égalité des conditions d’emploi et des droits sociaux.
- Les risques psychosociaux des cybermenaces de la phygitalisation
La confidentialité et la sécurité des informations sont menacées avec la phygitalisation. Tous les objets, équipements et systèmes directement connectés à un réseau Internet sont très vulnérables aux différentes attaques (vol d’informations, prise en main de l’appareil à distance, modification des données et des algorithmes) : le développement d’un monde professionnel totalement connecté offre de multiples possibilités d’exploiter les défaillances technologiques des dispositifs et des logiciels utilisés pour les cybercriminels. Avec l’avènement du phygital, les risques de cyberattaques sur des systèmes informatiques deviennent majeurs et les risques de violations de données et de failles de sécurité ne cessent de s'intensifier. Des risques psychologiques liés aux préoccupations croissantes de cybersécurité contribuent au renforcement du technostress et à l’excès de charge mentale: sentiments d’extrême dépendance à la sécurité de fonctionnement d’objets connectés piratés, pertes de confiance, suspicions d’informations incohérentes.
L’utilisation croissante des objets et des systèmes directement connectés à un réseau Internet, au sein des bureaux, des domiciles et tiers-lieux, va obliger les entreprises à mettre en œuvre une cybersécurité renforcée. En effet, tous sont très vulnérables aux différentes cyberattaques : c’est d’autant plus critique que le volume d’informations énorme généré par plusieurs milliers d’utilisateurs nécessite de mettre en place une capacité suffisante aux mesures de sécurité très strictes pour résister aux cyber-risques.
Parmi les plus redoutées et les plus courantes, figurent les cybermenaces et les cyberattaques suivantes, qui sont bien souvent facilitées par la négligence (et parfois la complicité) des employés vis-à-vis des consignes élémentaires de sécurité (« Shadow IT » : applications dans le Cloud non approuvées, applications personnelles à des fins professionnelles … avec tous les risques y afférents) : malware (virus malfaisant informatique qui détruit ou modifie des données), phishing (hameçonnage, email ou site web contrefait ), ransomware (rançon pour déverrouiller les écrans ou récupérer des données), techniques d’ingénierie sociale (manipulations psychologiques afin d’extorquer un accès frauduleux à un système d’information).
Un bureau à domicile n’offre naturellement pas le même niveau de sécurité des informations que dans un bureau conventionnel en entreprise : les protections de l’ordinateur pour limiter les intrusions ou tentatives malveillantes, doivent être précisées ainsi que les sanctions en cas de non-respect de restrictions car la plupart des incidents de sécurité sont le fait d’une inattention ou erreur d’un collaborateur au sein de l’entreprise.
La fuite de données personnelles et leur exploitation abusive suscite des craintes, mais le développement du travail phygital soulève aussi de nombreuses questions relatives aux facteurs psychologiques d'acceptabilité : crainte d'intrusion dans la vie personnelle et d'atteinte à la vie privée, inquiétude sur la surveillance constante et minutieuse de la présence devant l’écran : captures d’écran, suivi du comportement en ligne, « keylogger », etc. La phygitalisation totale risque d’accroître encore les problèmes éthiques dans le monde du travail, avec le sentiment de dépossession partielle de soi et d'espionnage permanent.
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